Ça fait quelques temps que je n'ai pas publié
d'articles sur le blog, et pour cause, depuis un peu plus de 3 mois, j'ai
commencé une thèse dans un super laboratoire de la Franche-Comté (le comté, la
cancoillote, le mont d'or et la saucisse sont devenus mon quotidien ;) ).
Lorsque mes amis me demandent sur quoi je travaille, ils restent bloqués
quelques secondes quand je leur énonce le titre de ma thèse.... Ils ne
comprennent pas tout. Faisons un petit essai: "Modélisation du réseau
trophique microbien des tourbières à Sphaignes".... Alors? Sur quels mots
avez-vous coincés? A mon grand étonnement, ce n'est pas le mot
"modélisation" qui pose problème le plus souvent, mais l'expression
"réseau trophique". En fait, ça fait tellement longtemps que je fais
de l'écologie qu'elle me parait pleine de sens et j'en ai vite oublié que ça n'était
pas le cas pour tout le monde.
Donc voilà une petite explication de ce que sont
les réseaux trophiques, et les réseaux écologiques de façon générale.
Les relations entre l’ensemble des
être vivants de la planète sont structurées au sein de réseaux
écologiques. Vous vous demandez ce
qu’est un réseau écologique ?
Un réseau, vous savez ce que c’est…
Facebook, tweeter sont des réseaux sociaux, Viadeo, LinkedIn des réseaux
socio-professionnels, votre club de foot, de rugby, de yoga ou de tennis
constitue votre réseau sportif, et votre famille et vos amis appartiennent à
votre réseau proche. Avec tous ces exemples, vous aurez compris qu’un réseau
c’est une toile constituée d’éléments (dans mes exemples, les éléments sont des
personnes) reliés entre eux.
Le réseau Facebook mondial par Paul Butler |
Mais alors un réseau écologique c’est quoi ?
Un réseau écologique repose sur les
relations écologiques. Les relations écologiques sont toutes les interactions
positives, négatives ou neutres qui existent entre les espèces d’une communauté
au sein d’un environnement donné. Les interactions positives peuvent être par
exemple des symbioses ou du mutualisme et les interactions négatives sont la
plupart du temps de la prédation, du parasitisme et de la compétition. Ainsi
trois types de réseaux font plus particulièrement l’objet de recherche :
les réseaux mutualistes (1% des recherches), les réseaux parasites (4% des
recherches) et les réseaux trophiques (94% des recherches).
Illustration proposée par Elisa Thébault, Alix Sauve et Collin Fontaine pour la Chaire Modélisation mathématique et Biodiversité |
De très récents travaux mêlent les
deux types d’interactions positive et négative que sont respectivement le
mutualisme et la prédation. Elisa Thébault et Colin Fontaine ont initié des
travaux dans ce domaine en montrant en 2010 que le type d’interaction avait un
impact sur la stabilité de la communauté.
(Pour en savoir plus, le blog Naked Science nous fait un point sur
l’article publié dans Science).
Mais comme je l’ai précédemment
mentionné, la plupart des réseaux écologiques étudiés sont des réseaux
trophiques. Mais pourquoi ? Un réseau trophique est ce que le commun des
mortels appelle une chaine alimentaire. Sauf que la notion de chaine suppose un
schéma linéaire : Une ressource (une plante ou de la matière morte) mangé
par un consommateur primaire, lui-même chassé et mangé par un prédateur plus
gros. C’est ce que pensaient aussi les scientifiques au début des recherches
dans ce domaine avant de se rendre compte de la complexité des communautés
biologiques.
Un réseau trophique constitue un
schéma plus complexe où chaque élément du réseau peut manger, être mangé par,
et être en compétition avec plusieurs autres éléments.
D’autre part les réseaux trophiques
sont présents dans tous les types de milieux, dans tous les environnements
possible et imaginable, à partir du moment où il y a de la vie. Ils concernent
tous les organismes donc peuvent être observés à différentes échelles
d’observation, de l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique.
Représentation d'un réseau trophique marin (source: Ifremer) |
En milieu marin, le réseau est
constitué d’algues, de micro-organismes comme le phytoplancton et le
zooplancton, d’invertébrés divers, de poissons au régime alimentaire varié
ainsi que d’espèces de niveau trophique élevé, c’est-à-dire qu’ils sont les consommateurs
terminaux. Ces derniers constituent une impasse pour les flux de matière à l’exception
de leur prédation par l’homme. A leur mort, ils se décomposeront et se
transformeront en particules pour être à nouveau en partie disponible à la
consommation par d’autres organismes.
Schéma d'un réseau trophique présent à la surface du sol |
Le réseau trophique du sol est étudié
à l’échelle des micro-organismes (les bactéries et les champignons) et de la
méiofaune (la faune de l’ordre de 1 à 100 mm) mais inclue également certaines
espèces de rongeurs ou de petits mammifères (comme la taupe !). La source
initiale de matière dans ces écosystèmes est constituée des végétaux et leur débris qui
forment la litière ainsi que l’humus, couche superficielle du sol constituée à
la fois de débris végétaux, de matière organique (c’est-à-dire composée de
carbone) morte et de particules minérales très fines.
Représentation schématique du réseau trophique au sein de la communauté des micro-organismes de la tourbière (Source: Karimi) |
Dans les zones humides telles que les
tourbières, on peut trouver des communautés particulières et donc des réseaux
trophiques associant des organismes habituellement aquatiques comme du
microphytoplancton, des cyanobactéries ou des rotifères (une sorte de
microzooplancton assez mignon … mais pour en savoir un peu plus, je vous
renvoie au blog de Nicobola)
et des organismes terrestres comme les plantes vasculaires et les champignons.
Ils mêlent des espèces de tous les groupes du vivant, les bactéries, les
protozoaires, les métazoaires et les plantes. On peut voir que les relations
trophiques sont très nombreuses et ne permettent pas d’établir un schéma
linéaire.
Tous ces réseaux sont étudiés de
différentes manières par les chercheurs. Ils sont observés sur le terrain,
c’est ce qu’on appelle le travail in situ.
Ce type d’approche permet d’avoir une idée des principales relations trophiques
liant les organismes d’une communauté. Suite à des échantillonnages, ils sont
étudiés en laboratoire ou ex situ.
Ces expériences permettent de quantifier plus précisément les relations, par
exemple par des mesures d’ingestion et de taux de prédation ou des techniques
d’isotopie (qui utilisent une version radioactive de certaines molécules pour
pouvoir les suivre et les doser), ou d’identifier des interactions trophiques
difficiles à observer in situ en
utilisant des méthodologies de pointe telles que la méta-génomique,
c’est-à-dire le séquençage de l’ADN du contenu du tube digestif (on peut ainsi
identifier toutes les espèces consommées par un organisme). Enfin la dernière
approche consiste à modéliser les réseaux trophiques grâce à toutes les
informations qui ont été accumulées à leur sujet. Ce type de travail permet
d’avoir une idée des flux de matière entre les espèces, du taux de recyclage
des molécules dans le réseau, du nombre de chemins différents qu’une molécule
peut emprunter dès son entrée dans le réseau, de connaitre l’efficacité de transfert de
molécule d’un consommateur à son prédateur et plein d’autres renseignements sur
le fonctionnement de la communauté. D’autres informations obtenues à partir du
travail de modélisation concernent la stabilité de l’écosystème (c’est-à-dire
si une perturbation le modifiera facilement ou alors s’il sera résistant aux
perturbations) ou la redondance au sein de la communauté (en d’autres termes,
est-ce que certaines espèces exercent la même fonction ?). On peut aussi
mettre en évidence certains organismes à fonctions particulières qui peuvent
fortement dépendre ou fortement modifier les autres organismes du réseau
trophique ; ces organismes peuvent être appelés des organismes ingénieurs
dans certains cas et des bio-intégrateurs dans d’autres cas. Mais quelque soit
le rôle de chaque organisme, sa participation à un réseau trophique fait de lui
un élément structurant de la communauté et un rouage du fonctionnement de
l’écosystème.
Vous aurez compris que pour connaître
ces structures complexes que sont les réseaux trophiques, des méthodes presque
aussi complexes sont utilisées, mais rien n’est trop bien pour comprendre ce
qui se passe sur notre petite planète !
Tout comme les réseaux trophiques, les
réseaux mutualistes ou parasites sont complexes à étudier et à comprendre. Les
flux étudiés ne sont plus des molécules fournissant de l’énergie mais d’autres
types (par exemple, le pollen dans le cas de réseaux mutualistes
plante-pollinisateur). Tous ces types de réseaux sont indispensables au bon
fonctionnement des écosystèmes et à tous les services qu’ils peuvent nous
rendre.
la complexité du réseau peut etre réduite à son plus simple appareil dans le cas de milieux perturbés.
RépondreSupprimerou encore de nouveaux milieux (colonisation de bancs de lave ..), le recueil de donnés y est phénoménal
ne pas oublier non plus que la résilience du milieu est beaucoup portée par les communautés bactériennes, qui font office de tampon (leur role est toujours assuré) :
stabilité pour les réseaux trophique
courage pour ta thèse !
et merci pour ces explications :)
Les données en notre possession c'est bien là le principal éléments décisifs dans notre représentation du réseau. Quelque soit sa complexité, il est rare qu'on puisse l'étudier dans sa globalité de façon précise. Il s'agit quasi toujours de modèle d'étude simplifié.
Supprimer"ne pas oublier non plus que la résilience du milieu est beaucoup portée par les communautés bactériennes, qui font office de tampon (leur role est toujours assuré) :stabilité pour les réseaux trophique"
Je suis d'accord que les communautés bactériennes ont un grand rôle dans la stabilité des réseaux; un des objectifs de ma thèse est justement d'identifié les autres facteurs de stabilité, et certains des groupes de haut niveau trophique pourraient bien y participer.
En espérant pouvoir vous en dire plus dans quelques mois à ce sujet ;)