vendredi 25 mai 2012

La science accessible à tous.

La recherche scientifique a parfois la lourde peine de traîner des préjugés aussi lourds que des boulets qu’on vous aurait accrochés à la cheville sans moyen de vous en défaire (un peu comme les pirates qui jetaient les traîtres à la mer). Laissez-moi m’incarner, le temps que vous lisiez ces quelques lignes, en une véritable maîtresse des clés (j’ai hésité avec Passepartout, mais ça fait quand même moins sexy) qui volerait au secours de la science pour la libérer d’une noyade lente, terrible, pleine de souffrance.

They strapped me to a cannon, I ended up on the bottom of the ocean, the weight of the water crushing down on me.” William "Bootstrap Bill Turner, Pirates des Caraïbes.
Illustration de Tiago Hoisel [Source] // Les héros de la série The Big Bang Theory
Il n’y a que des vieux qui bossent dans la recherche, il faut avoir fait BAC+ trouze pour y bosser, ils sont grave ringards, ils n’ont pas de vie sociale, ils regardent leurs crottes de nez au microscope et puis d’abord, ça sert pas à grand-chose à part à laisser une bande de vieux croutons s’éclater entre eux sur des délires qu’eux seuls comprennent (et en plus, on les paye pour ça. Sans déconner, mais où va le monde ?!).
A vrai dire, c’est ce que j’aurais pu répondre avant d’avoir mis les pieds à la fac et c’est ce que pourraient répondre pas mal de gens que je connais. Mais pour de vrai, c’est trop pas ça (quoique pour certains je vous laisse le bénéfice du doute).

En fait je n’ai pas l’intention de vous parler de Science avec un grand S ou encore de la recherche de façon générale mais plutôt de vous parler d’un truc que je kiff grave de certains programmes qui permettent de contribuer à l’avancée de la recherche sur la question de la biodiversité* à notre échelle. Et pour ça, les seuls pré-requis demandés sont : la curiosité et le partage. (Et ouais, rien que ça !)

En fait, ça part du constat que pour connaître la biodiversité, il faut la zieuter assez régulièrement pour pouvoir en tirer des conclusions pertinentes et intéressantes. Mais sauf rares exceptions (stages, thèses, programmes financés, suivis par des associations), ce sont des données difficile à obtenir. Non pas parce que c’est difficile d’aller sur le terrain mais parce qu’on manque de moyens (manque d’argent et de personnel) et donc forcément, un manque de temps.

Pourtant, on a besoin de connaître l’évolution de la biodiversité, sa répartition dans le temps et dans l’espace afin de pouvoir la protéger ou encore la gérer. Ouais, on aime bien pouvoir tout gérer et tout contrôler… mais disons que c’est pour le bien de notre environnement (quoique ça dépend des fois…).

A côté de ce manque de temps et de moyens, un grand nombre de personnes s’adonne très régulièrement à des activités naturalistes (et non naturistes**). Il y a, bien entendu, les associations naturalistes qui proposent des sorties, mais il y a également ceux qui aiment se balader pour faire un peu de randonnée, ramasser les champignons, cueillir des fruits, ou que sais-je encore (Boriiiiiis, lâche ce palmier !). Des personnes qui aiment le contact avec la nature quoi (Boris, lâche-le de suite ou je compte jusqu’à trois !). Et forcément, les connaissances des uns et des autres sont très variées et peuvent aller d’un niveau de débutant à un niveau d’expert.


Photos prises ici et là
Les sciences participatives
C’est alors que se sont mises en place les sciences participatives (ou citoyennes) pour la biodiversité.
Ces sciences participatives ont pour vocation de faire participer tout ceux qui le souhaitent à des programmes naturalistes afin d’accroître nos connaissances en termes de biodiversité. C’est ainsi que professionnels et amateurs collaborent pour le bien de notre environnement. Les données ainsi récoltées sont transférées aux chercheurs qui pourront les traiter afin d’en extrapoler les informations puis les transmettre au grand public.

Et puisque ce genre de programme se développe depuis quelques années maintenant, il y en a pour tous les goûts et tous les niveaux !
Vous êtes amateur, vous n’y connaissez rien et pourtant vous aussi, vous voulez gambader les cheveux au vent pour regarder les fleurs et les papillons ? N’ayez crainte, j’ai ce qu’il faut pour vous : [Sauvages de ma rue, Vigie Flore, Observatoire des Papillons de Jardins].
Et vous, sombre créature de la nuit ! Votre passion est d’errer dans les maisons hantées les nuits de pleine lune, votre rêve le plus secret serait de devenir un vampire ? J’ai également ce qu’il faut pour vous : [Suivi des populations de chauves souris].
Et toi là bas ! Tu préfères bronzer sur la plage plutôt que courir après les oiseaux ?! Haha, et ben si ! J’ai un truc pour toi aussi (et tu vas (prendre la voix de Cristina Cordula) a-do-rer ma chérie) : [BioLit, CapOeRa].
Vous là bas, vous avez du mal à décrocher de votre téléphone plus de 3 minutes ? Idem, j’ai ce qu’il faut : [Missions Printemps avec l’appli smartphone du même nom].
Hep toi ! Celui qui a le pied dans le plâtre ! Et toi aussi tiens, qui à l’air de vouloir profiter du hamac dans ton jardin. J’ai également ce qu’il faut pour vous, vous n’aurez pas à aller très loin puisque votre jardin ou le trottoir devant chez vous suffisent ! [Observatoire des Papillons de Jardin, Observatoires des Escargots, Enquête Coléo, Sauvages de ma Rue]

BioLit
Calliostoma zizyphinum sur
des algues vertes (Ulva sp.)
Je vais vous présenter mon programme préféré pour vous en donner un rapide aperçu. Vous connaissez sans doute mon attrait incommensurable pour les bêbêtes de l’estran (la partie du littoral soumise à la marée), mais je vais devoir avouer ici, aux yeux de tous, ma fascination pour les algues*** ces êtres inférieurs qui tuent chevaux et sangliers.

Il s’agit du projet BioLit (lauréat 2012 du trophée mécénat délivré par le ministère !) mis en place par l’association Planète Mer.

L’objectif est de comprendre les relations qui unissent les grandes algues brunes et les mollusques qui vivent dans cet habitat.


Le littoral, comme les autres écosystèmes est constitué d’un ensemble d’interactions entre la faune, la flore et le substrat. En plus de la prédation, compétition, interactions durables (symbioses, parasitismes etc.) et toute autre forme d’interaction, les espèces sont soumises à la marée. Bon d’accord, ce n’est pas un scoop, mais vous êtes vous déjà mis dans la peau d’un bigorneau, d’un crabe, d’une anémone de mer ou d’une algue ?
Bigorneau (Littorea littorea)
avec vue de l'opercule
En fait, on va le faire ensemble. A partir de maintenant, on sera tous ensemble une bande de bigorneaux qui gambadent se baladent sur un rocher. La marée est haute, l’eau est à température idéale, on est protégé des UV, notre coquille nous protège de la plupart des potentiels prédateurs et nous pouvons brouter joyeusement des algues pendant que la marée redescend. A marée basse par contre, les oiseaux (et les pêcheurs à pied) peuvent nous cueillir facilement, il n’y a plus d’eau donc plus de protection contre les UV et il commence à faire chaud. Le soleil tape sur les rochers sombres ce qui augmente considérablement leur température (qui peut aller jusqu’à 50°C dans nos régions !), plus question de ramper dessus il y fait bien trop chaud ! Plusieurs moyens s’offrent à nous, chers bigorneaux, pour nous protéger de cet environnement devenu hostile : notre opercule qui nous permettra de nous garder à l’humidité et de limiter l’échauffement mais également notre mucus qui nous évitera de nous dessécher. Cependant, rester enfermé dans sa coquille pendant plusieurs heures n’est pas une partie de plaisir, et quelques fois ce n’est pas suffisant contre la dessiccation. C’est là que les macroalgues (se différencient des microalgues par leur taille : les macroalgues sont celles que l’on voit à la plage ou dans l’eau tandis que les microalgues sont celles que l’on ne peut voir qu’au microscope) interviennent puisqu’elles deviennent un véritable refuge contre le soleil, les prédateurs mais également le froid et la pluie. Cette situation ne concerne bien évidemment pas que les bigorneaux, mais toutes les espèces peu ou non mobiles ou encore les prédateurs qui s’y cachent pour tendre des pièges à leur proies. Les conditions sous l’eau et en dehors sont vraiment différentes, il faut pouvoir y survivre.
Les bigorneaux et tous les autres escargots du littoral sont d’un grand intérêt pour tout cet écosystème. Ils limitent la prolifération des algues en les broutant et sont source de nourriture pour bon nombre d’espèces d’oiseaux, de poissons, d’autres mollusques… Les algues elles aussi sont une source importante de nourriture et représentent également un abri considérable pour la faune (j’en reparlerai dans un autre article). D’où l’intérêt de les étudier. De plus, les algues brunes (il existe aussi les algues vertes et  les algues rouges) et les escargots ont l’avantage d’être tous deux présents en grande quantité et facilement reconnaissable pour un non spécialiste. Un programme fun et accessible à n’importe qui, donc à vous de jouer ! Et si vous n'êtes toujours pas convaincu, voyez la vidéo ci-dessous.






Je vous laisse découvrir les détails du projet ici ainsi que les fiches protocole : et .
Si vous n'êtes toujours pas rassasiés après tout ça, que vous voulez rencontrer des gens passionnés et passionnants pour vous faire découvrir les richesses de la diversité du littoral vous pouvez vous renseigner auprès de Planète mer, auprès de la super asso VivarmorNature, mais aussi auprès de IODDE et Nausicaa.

Littorina obtusata qui tente de se camoufler parmi les
flotteurs (poches d'airs qui font flotter les algues) de
l'algue brune Fucus vesiculosus

Vigie Nature
Evidemment, pour ceux qui n’habitent pas près de la mer ou qui n’y iront pas pendant les vacances, j’ai d'autres programmes à vous montrer, notamment ceux proposés par Vigie Nature.
Vigie nature est un énorme programme proposé par le MnHn (Muséum national d'Histoire naturelle) qui propose de suivre les populations de chauves-souris, d’oiseaux, d’escargots, d’amphibiens, d’insectes mais également de suivre les traces d’animaux dans la forêt ou encore les espèces végétales de nos jardins ! Je vous l’avais dit, il y en a pour tous les goûts ! Si ça vous intéresse et que vous voulez en savoir un peu plus, vous trouverez des informations sur leur site, et n’hésitez pas à les suivre via le blog qui a été lancé il y a quelques jours.


(c) Vigie Nature [Source] 


La nature ordinaire
Quel intérêt d'étudier les plantes
sur un trottoir ? [Source]
Mais en fait, pourquoi étudie-t-on les espèces « communes » ? Ça ne serait pas plus intéressant de se préoccuper des espèces en voie d’extinction ou des espèces rares ? Quid des espaces protégés, ne serait-il pas plus intéressant de suivre des espèces dans ces zones plutôt que sur un vulgaire trottoir de ville ?

Ben en fait, oui et non. C’est clair que c’est vachement plus glamour de dire « ce week end, j’ai étudié une orchidée sauvage dans une réserve biotique intégrale » plutôt que « ce week end, j’ai regardé des pissenlits sur le trottoir de la voisine »…
Le but premier des sciences participatives c’est la mobilisation du publique. Pour cela, il faut que les protocoles proposés soient facilement réalisables, qu’ils soient accessibles au plus de monde possible et pour ça, il a au moins deux moyens. Le premier c’est d’étudier des espèces connues du grand public (j’imagine que si je vous dis pissenlit, rouge-gorge ou renard, vous voyez tout de suite de quoi je parle) ou facilement reconnaissables. Le deuxième, c’est de pouvoir le faire près de chez soi, c’est quand même plus pratique que si vous devez parcourir 50km en voiture.

Vous avez peut être déjà entendu parler de l’expression « érosion de la biodiversité » du fait des changements globaux. Certaines espèces ce sont éteintes, certaines sont en voie de disparition, certaines tiennent encore le coup mais qui n’y arriveront bientôt plus… Afin de réduire cette crise, plusieurs types d’actions sont mises en place à diverses échelles (internationale à locale) dont la protection de certaines espèces et la création d’aires protégées (Natura 2000, réserves naturelles, parcs naturels régionaux etc.). Mais en terme de superficie sur un territoire, c’est la nature dite ordinaire qui est majoritaire (je crois me souvenir de quelque chose comme plus de 90%). Vous comprendrez donc l’importance de connaître la dynamique des espèces qui l’occupent. D’autant plus qu’on peut se servir de ces espèces communes comme fonction indicatrice puisque leur étude va nous permettre de comprendre comment la biodiversité réagit face aux changements globaux. Par exemple, le réseau STOC (Suivi Temporel des Oiseaux Communs) a pu mettre en évidence grâce aux données des participants que certaines espèces profitent du réchauffement climatique, tandis que d’autres ont beaucoup plus de mal à s’y faire.

La Linotte mélodieuse avec un déclin de -72% en 20 ans est un symbole de la perte de biodiversité ordinaire en milieu agricole. A l’inverse, le Pigeon ramier (+71% en 20 ans) est un généraliste qui profite des changements globaux[Source]

Pour finir, s’intéresser à des espèces moins exotiques permet de sensibiliser le grand public à la protection de la nature ordinaire. Au même titre que les koalas, les dauphins et les phoques, nos mésanges, nos algues et nos bigorneaux ont eux aussi le droit à un peu d’attention et d’affection ;)


(c) C. Feirrera



A bientôt sur le terrain !
Polychètement,
Aurélide. 









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* biodiversité : la biodiversité c’est la diversité d’espèces, de formes, de modes de vie, de gènes, en gros, c’est toute la diversité possible et imaginable formée par le vivant. [Retour au texte]
** naturaliste / naturiste : tandis qu’un naturaliste s’éclate à se balader dans la nature pour l’admirer, l’observer et la comprendre, le naturiste lui, s’éclate à se balader à poil (chez lui, dans son jardin, dans des campings spécialisés et autres). Cela dit, les deux ne sont pas incompatibles. [Retour au texte]
** algues : en vrai, le terme algue ne veut rien dire d’un point de vue évolutif (pour les pro’, et histoire de se la péter un peu pendant les soirées mondaines, on va plutôt dire « ça ne veut rien dire d’un point de vue phylogénétique » mais ça revient au même). Les « algues » (les guillemets sont là pour dire « je sais que le terme algue ne veut rien dire d’un point de vue évolutif, mais vu que c’est long à écrire je me contente de juste mettre les guillemets ») regroupent en fait des espèces qui n’ont rien à voir, c’est comme si on parlait de fournitures scolaires : un stylo n’a rien à voir avec une feuille ou une gomme. Leur seul point commun c’est qu’on les met dans un cartable. Ben là c’est pareil pour les algues (sauf que c’est un peu moins évident à s’en rendre compte, je l’admet), une algue brune n’a rien à voir avec une algue rouge qui n’a rien à voir avec une algue verte (ouais, j'm'éclate avec les couleurs) mais pourtant on les regroupe ensemble sur un critère écologique parce que c’est plus simple de dire « algue » que de dire « toutes les espèces photosynthétiques capables de vivre sous l’eau et sans tissu conducteur ». Encore une fois, pour les soirées mondaines, on dira que les algues sont polyphylétiques : leurs ressemblances n’ont pas été héritées du même ancêtre [ce n’est pas parce que Nico et Boris ont les cheveux foncés qu’ils ont les mêmes parents (ça parait plus logique dis comme ça hein ? :D)].
Si vous voulez d’autres mots de ce style pour vos soirées et réunions de familles, vous devrez en trouver dans nos articles. [Retour au texte]

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Si vous doutez toujours sur le fait que tous les scientifiques ne sont pas qu’une bande de vieux croûtons moisis, voyez à quoi ressemble un scientifique de nos jours : http://lookslikescience.tumblr.com/ [avouez que certains sont grave sexy ! (nan je ne donnerai pas de nom) (bon ok, vous avez raison, les plus sexy n’y sont pas, on ne voulait pas trop leur faire d’ombre en proposant nos photos, faut savoir faire preuve d’humilité parfois ;) )]
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Pour aller plus loin : Regards et débats sur la biodiversité - Biodiversité et science participative, de la recherche à la gestion des écosystèmes. 
Merci à C. Kerbiriou de m'avoir autorisé à utiliser quelques un de ses éléments de cours et à F. Jiguet pour sa disponibilité.

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